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Conférence-débat sur les massacres du 8 mai 1945

La répression féroce a convaincu les réticents

dimanche 7 mai 2006, , article écrit par Ghada Hamrouche, La Tribune et publié par La rédaction


« On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues [...] La répression était aveugle ; c’était un grand massacre. [...] Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes [...] La répression était atroce. » Ce sont les yeux d’enfant de Kateb Yacine qui avait enregistré le drame à Guelma. Près de trois décennies plus tard, il en témoignait au journal le Monde diplomatique. Kateb Yacine révélera à l’opinion publique française la férocité de la répression colonialiste des manifestations du 8 mai 1945.
Hier, c’était au tour de personnalités, d’historiens et d’enseignants d’histoire d’apporter leur témoignage aux étudiants de l’Institut d’histoire à la faculté de Bouzaréah et ce, à l’initiative de l’association Machâal Al Chahid. Ainsi Chawki Moustefaoui et Amrani Saïd, membres de la direction du Parti du peuple algérien (PPA), El Sassi Benhamla et Amar Bentoumi militants du même parti et avocat se sont relayés pour enrichir la version officielle des manifestations du 8 mai1945.
On apprendra donc, que le 8 mai 1945, jour même de la victoire alliée sur le nazisme, de violentes émeutes éclatent à Sétif, en Algérie. Des manifestations qui annonçaient déjà l’approche de la guerre d’indépendance. A l’origine des événements, un accord entre les indépendantistes du PPA sous la direction de Messali Hadj et de l’UDMA présidé par Ferhat Abbas. Les deux hommes peaufinaient le projet d’un congrès clandestin qui proclamerait l’indépendance. Ferhat Abbas fonde dès mars 1944 une vitrine légale : les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML).
L’année suivante, les deux grands leaders algériens, Messali Hadj et Ferhat Abbas, se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour appeler à l’indépendance de l’Algérie et pour brandir le drapeau de l’Algérie indépendante. « Mais Messali Hadj est arrêté en avril 1945 et déporté dans le sud du pays puis à Brazzaville. Cette provocation des autorités françaises sème la consternation chez les nationalistes algériens et les incitent à recourir à la force pour arracher leurs droits », souligne Sid-Ali Abdelhamid, un des militants du PPA. Le 1er mai, une manifestation du PPA clandestin réunit 20 000 personnes à Alger, à la rue Larbi Ben M’hidi. Le drapeau algérien y est arboré pour la première fois. La manifestation se solde par 11 morts, des arrestations, des tortures et surtout un afflux d’adhésions au PPA.
Le matin du 8 mai, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie, une manifestation se reproduit à Sétif, Guelma et Kherrata aux cris de « Istiqlal, Vive Messali et libérez Messali ». La direction du PPA, qui a ordonné les manifestations pour réduire la pression sur Constantine, a instruit les militants du parti de ne pas porter d’armes ni d’arborer le drapeau algérien mais un scout musulman n’en tient pas compte et brandit le drapeau au cœur des quartiers européens. Cet acte déchaîne la police coloniale qui l’abat de même que le maire socialiste qui le suppliait de s’abstenir de le faire.
Dès le 9 mai, à Guelma, le sous-préfet André Achiary prend la décision imprudente de créer une milice avec les Européens et de l’associer à la répression menée par les forces régulières. Cette répression est d’une extrême brutalité. Selon les officiels français, elle fera 5 500 morts, les historiens français rendront compte de 8 000 à 20 000 victimes. « Le consul américain révélera au monde l’atrocité des massacres. C’est le premier à avoir avancé le chiffre des 45 000 victimes. Le PPA retiendra cette statistique. Le nombre est certainement plus important mais on s’est tenu à la version du diplomate le plus crédible à Alger à l’époque », soulignera Me Bentoumi pour balayer les chiffres officiels français.
« Le gouverneur d’Alger a même requis l’aviation pour bombarder les zones insurgées. A la répression policière succèdent les cabales judiciaires. Les tribunaux ordonnent pas moins d’une trentaine d’exécutions et une centaine de longues incarcérations », témoignera Al Sassi Benhamla.
Lucide malgré tout, le général Duval, responsable de la répression, aurait déclaré le 9 août 1945 dans un rapport aux autorités coloniales : « Je vous ai donné la paix pour dix ans, mais si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable. »
« Deux ans plus tard, soit en 1947, naîtra l’organisation spéciale qui préparera activement le passage de la lutte pacifique à la lutte armée. C’est le premier acte permettant à l’Algérie d’arracher son indépendance », conclura Me Bentoumi.

G. H.


Ghada Hamrouche, La Tribune

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