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L’archéologue Dr Sahnouni à Sétif Info : « La région sétifienne recèle une richesse archéologique immense »

mardi 21 juillet 2009, , article écrit par Nabil Foudi, Sétif Info et publié par La rédaction


e site archéologique de Ain El Hanech situé à 20 Km de Sétif, le plus anciens site de la présence humaine dans l’Afrique de Nord, fait l’objet ces dernières années de plusieurs recherches et fouilles menées par l’équipe de Dr Sahnouni. A cette occasion, Sétif Info a souhaité vous présenter ce site archéologique à travers cet interview.

Sétif Info : Qui est Dr Mohamed Sahnouni ?

Dr Sahnouni : Mohamed Sahnouni est préhistorien et anthropologue spécialiste de l’évolution et comportements des plus anciens hominidés. Il est diplômé de l’Université d’Alger (Licence en Archéologie), de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI, France (Doctorat 3eme Cycle en Géologie du Quaternaire), et d’Indiana University Bloomington, USA (PhD en Anthropologie, spécialité Paleoanthropologie). Il a été professeur à l’Institut d’Archéologie de l’Université d’Alger, Chercheur à l’Institut des Études Avancées (Quaternaire et Préhistoire) de l’Université Rovira & Virgili, Tarragone, Espagne. Il est actuellement « Senior Scientist » au Stone Age Institute et Center for Research into the Anthropological Foundation of Technology (CRAFT) d’Indiana University Bloomington, USA. Depuis 1992 Il dirige des fouilles du site d’Ain Hanech dans le cadre du Projet de Recherche sur les plus vielles occupations humaines en Afrique du Nord.

Sétif Info : Pouvez-vous nous décrire brièvement le site archéologique de Ain El Hanech ?

Dr Sahnouni : Le site préhistorique d’Ain el-Hanech se trouve près de Guelta Zergua à environ 7 km au nord est d’El-Eulma. Découvert vers la fin des années 1940, il fait l’objet de recherches systématiques depuis 1992. Le site consiste en plusieurs gisements préhistoriques et paléontologiques livrant des restes fauniques de milieu de savane et lithiques de technologie oldowayenne connue également dans les sites paléolithiques anciens d’Afrique Orientale. Dans l’état actuel des connaissances, ce site témoigne de la plus vielle occupation humaine en Afrique du Nord datant d’environ 1,8 million d’années. De part sa chronologie et de sa situation géographique, il représente un site clé pour l’étude du moment et les possibles voies de l’expansion des anciens hominidés de l’Afrique vers l’Eurasie.

Sétif Info : Depuis sa découverte en 1947 par le Pr Camille Arambourg, ce site a fait l’objet de plusieurs fouilles, pouvez-vous nous communiquer vos derniers résultats menés par votre équipe ?

Dr Sahnouni : Le professeur Arambourg avait exploré très sommairement le site d’Ain Hanech, et ses travaux portaient essentiellement sur l’étude des faunes. Nos recherches depuis 1992 sont systématiques et pluridisciplinaires en recherchant les critères stratigraphiques et chronologiques, reconstituant l’environnement prévalant au moment des activités humaines, et étudiant les implications comportementales des restes légués par les hominidés. Ces recherches sont toujours en cours, mais les résultats déjà obtenus sont : 1) découverte de nouveaux loci, tels qu’El-Kherba et El-Beidha, indiquant qu’Ain el-Hanech est un site complexe comprenant des localités archéologiques et paléontologiques s’étalant dans le temps et l’espace ; 2) le site date d’environ 1,8 million d’années ; 3) l’environnement consistait en une plaine d’inondation et d’une savane plus ou moins ouverte supportant une faune variée tels que l’éléphant, rhinocéros, hippopotame, buffle, diverses antilopes, carnivores et crocodile ; et 4) la technologie lithique manufacturée par les hominides d’Ain Hanech était oldowayenne utilisée pour consommer essentiellement de la viande.

Sétif Info : Selon l’âge du site, on devine que c’est Homo Habilis qui a fréquenté ce site. Il y a-t-il d’autres genres d’hominidés qui ont coexisté avec, à titre d’exemple les Paranthropes ?

Dr Sahnouni : La réponse appropriée à cette question serait de découvrir les restes d’hominidés. Cependant, s’il est permis de spéculer en tenant compte de la chronologie, on peut dire que l’hominidé d’Ain Hanech serait similaire à ceux connus en Afrique de l’Est datant entre 2.0 et 1.7 million d’années et ayant une capacité crânienne variant entre ≤600 et ≥800cc, y compris : Homo rudolfensis, H. habilis, H. ergaster, Paranthropus boisei et/ou P. robustus. Toutefois, vu les habitudes alimentaires des hominidés d’Ain Hanech axées principalement sur la consommation de la viande, les possibilités de représentants du Paranthrope seraient minimes parce que leur régime alimentaire était essentiellement basé sur les restes durs (plantes par exemple) qui exigent un appareil masticateur puissant qui est un trait anatomique particulier des Paranthropes. En dernier lieu, sans exclure H. habilis, l’hominidé d’Ain Hanech pourrait être une espèce non encore connue si l’on tient compte des variations spécifique et géographique des hominidés en général.

Sétif Info : Avez-vous une idée sur l’origine de ces pré-humains ?

Dr Sahnouni : La question de l’origine de ces pré-humains est très controversée. Cependant, dans l’état actuel des connaissances, la théorie la plus admise est celle qui stipule que les premiers représentants du genre Homo ont évolué à partir des Australopithèques graciles (A. africanus par exemple). La découverte d’A. garhi renforce cette théorie du fait que cet hominidé est gracile présentant des similitudes anatomiques dentaires avec Homo et aussi à cause de ses capacités adaptatives et comportementales comme en témoigne son association stratigraphique avec des restes fauniques portant des traces de découpe prouvant qu’ a l’instar du genre Homo, leur régime alimentaire comprenait la consommation de la viande.

Sétif Info : Nous savons que les plus vielles squelettes d’homo erectus en Algérie ont été trouvées à Tighenif (Mascara). Croyez-vous à l’existence de ce type de squelettes à Ain El Hanach ?

Dr Sahnouni : Sans totalement exclure cette possibilité, les chances que l’hominide d’Ain Hanech des dépôts de 1,8 million d’années soit Homo erectus sont minces. L’H. erectus de Tighenif confectionnait une technologie lithique (acheuléenne) très sophistiquée comparée à celle d’Ain Hanech. Ce type de technologie requiert un cerveau plus volumineux que celui des hominidés contemporain d’Ain Hanech. Toutefois, il faut rappeler qu’a Ain Hanech il y a aussi un dépôt acheuléen situé stratigraphiquement 6 mètres plus haut que le dépôt oldowayen de 1,8 Ma scellant la séquence stratigraphique. Ce dépôt a livré des artefacts typiquement acheuléens tels que les bifaces, hachereaux et grands éclats. L’H. erectus d’Ain Hanech serait contemporain de ce niveau et non pas de l’antérieur renfermant les artefacts oldowayens.

Sétif Info : Existe-t-il d’autres sites archéologiques Paléolithiques dans la région de Sétif ? Que dites-vous des sites d’El-Kherba, d’El-Beidha et la vallée d’Ain Boucherit ?

Dr Sahnouni : La région sétifienne est très riche en sites archéologiques de toutes les périodes, et il n’est pas exclu que, si des programmes de prospection archéologique systématique sont lancées, de nouveaux sites paléolithiques pertinents seraient découverts. Les sites d’El-Kherba et d’El-Beidha, découverts par notre équipe suite aux prospections systématiques du site d’Ain el-Hanech lancées en 1992, sont équivalents chronologiquement et culturellement au site d’Ain el-Hanech. Le site paléontologique d’Ain Boucherit est plus ancien où nous entreprenons depuis 2006 des recherches pour voir si des artefacts lithiques sont associés avec la faune dans ce site. Nous publierons les résultats de ces recherches dans un future proche.

Sétif Info : Que peut apporter la recherche archéologique de ce site à la connaissance de l’histoire de l’Afrique du Nord ?

Dr Sahnouni : La recherche dans ce site apporte des connaissances pertinentes relatives au premier peuplement d’Afrique du Nord, notamment :

1) Quand eu lieu la première occupation humaine de cette partie d’Afrique et l’expansion subséquente des premiers hominidés en Eurasie ;

2) Le caractère de l’occupation des hominidés dans cette région d’Afrique y compris leur adaptation au milieu naturel, leur mode de vie, la technologie qu’ils utilisée pour subvenir à leur besoins quotidiens, leur régime alimentaire, leur capacité cognitive et intelligence pour résoudre les problèmes de leur survie, etc.

3) Reconstitution des paleoenvironnements et écosystèmes anciens y compris le milieu physique, couvert végétale et la faune ;

Sétif Info : Un dernier mot aux visiteurs du site

Dr Sahnouni : Il est important que les visiteurs de votre site web sachent que la région sétifienne recèle une richesse archéologique immense, et le site d’Ain Hanech en est un témoignage important pour la période préhistorique. On peut même qualifier ce site de berceau des premiers hommes d’Afrique du Nord. A ce titre, il est du devoir des pouvoirs publics, des sétifiens et de chacun de protéger ce riche patrimoine pour immortaliser notre histoire.

Propos recueillis par Nabil Foudi (septembre 2008)


Nabil Foudi, Sétif Info

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