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Le Souk, le troubadour ou le théâtre de la rue : Sétif un jour de marchés

lundi 4 mai 2009, , article écrit par A. Nedjar, Setif Info et publié par La rédaction


n ce temps là, il n’existait ni téléphone, ni radio, ni télévision. La TSF était à ses balbutiements. C’était encore le temps de la diligence, du voyage à dos de mulet ou à dos de chameaux.
Les regroupements étaient pour ainsi dire l’une de ces activités importantes dans la vie des populations.

Ah ! qu’il est loin, très loin ce temps du Meddah ou du troubadour, ce faiseur de miracles, ce maître du verbe, ce ‘transistor’ de l’oralité et gardien des contes traditionnels ou ce vestige des temps perdus.

Aujourd’hui, c’est un jour du marché. Le grand Souk comme on aimerait l’appeler ici. Bien des adeptes y viennent pour se réjouir, se délecter avec l’odeur des grillades,des senteurs ou parfums exotiques,des produits qu’on ne trouve ailleurs ou pour flâner simplement .Cela représente pour certains un plaisir mystérieux.

Pour d’autres, le souk serait cette formidable machine à remonter le temps, capable de faire revivre des moments,des instants ou des séquences de la vie passée.

Le Souk, c’est cette foire hebdomadaire. C’est cet autre espace destiné à l’accueil de l’immense déferlement de personnes bigarrées qui, sans raisons apparentes et sans but précis pour la plus part, vont à la cherche à la fois du contact et du dépaysement. C’est un lieu de transit pour beaucoup, un endroit idéal pour les tribuns et pour quelques trublions aussi.

Le Souk tient lieu également de place forte pour la communication où s’échange l’essentiel des nouvelles de la région. C’est une sorte de gazette locale destinée à véhiculer et à distiller l’information. N’a-t-on pas parfois croisé et entendu le Berrah dans ses œuvres ? Aaalli seme3koum belkhaïr wel 3fia !

Le Souk se distingue du marché par la variété de ses offres et la multitude des ses services.

Des accords se nouent autour de l’achat ou la vente de bêtes de sommes, des légumes, des denrées alimentaires indispensables, des mariages, de divorces parfois, des ruptures ou d’ententes entre archs etc.

Vous pouvez même y acheter l’élixir destiné à amadouer votre dulcinée,vous procurer cette poudre magique destiné à élever votre QI,tempérer les ardeurs d’un adversaire plus puissant , acquérir différentes médications miraculeuses, ou de rêver par l’évasion si vous avez la chance de rencontrer un de ces conteurs émérites, expert en théâtre de la rue.

Pas très loin, juste au détour d’une virée auprès du marché à bestiaux, se tenait un grand rassemblement en forme de cercle. Tout au milieu, s’activait dans de grands gestes et de grandes gesticulations ; un de ces « oiseaux rares » que la chance et la résurgence avaient finies par basculer au sein de cet attroupement.

Nous voici en présence de l’un de ces rescapés ou ces conteurs infatigables.

« Sallou 3lla N’nabi Rassoul Allah », ne cessait-il de répéter. Enturbanté, ruisselant de sueur, bavant comme un cheval, un bout de roseau dans sa main, tel un grand chef orchestre, il imprimait et régulait la cadence .Il captivait la foule médusée par ces exploits surréels d’un héros légendaire.

Il décrivait chacune des étapes de ce combat singulier, en le mettant aux prises à l’hydre aux sept têtes.
Effroyable, le sort qui lui était réservé ! On le savait brave, courageux mais, on avait peine à croire qu’il avait la force et les capacités qui pouvaient le conduire à se mesurer et en avoir raison d’un tel monstre abominable.

Le troubadour était presque en transe. Il ôta énergiquement son ample gandoura, la jeta au loin au milieu des spectateurs .A l’image du sorcier ,se mit à débiter quelques incantations, faisant de grands signes débridés pour montrer son entrée dans la peau du combattant. Il se dota d’une épée imaginaire et s’avança vers le monstre .Il lança un puissant cri de guerre. Tournoya tout autour de son arène, Souleva la poussière ocre du sol et fouetta l’air avec la lame étincelante de son épée.

Il s’arrêta net, reprit son souffle, décrivit la scène de combat. Evoqua le créateur pour venir en aide à son sujet .Fit vibrer son bendir surchauffé. Puis d’un coup sec, il abattit la lame tranchante de son épée sur la tête du monstre.

Touché, ce dernier se cabra violemment et se retira dans sa caverne .Il réapparut aussitôt et repartit à l’offensive opposant cette fois deux grandes gueules terrifiantes pour dire, ricanant de douleur « Hi hi hi ce n’était que sa première tête ».

Le vaillant héros se tenant toujours sur ses gardes, répliqua dédaigneusement « Ce n’était là que mon premier coup d’épée »
Ainsi accaparés, les oreilles tendues, les yeux écarquillées où se lisait la frayeur, les spectateurs finissaient par pousser des oh de désolations et des cris d’encouragements.

Le héros mordit la poussière à plusieurs reprises. Il faillit être emporté au fond de cet antre béant. Agile, profitant d’un moment d’égarement de son ennemi, il se libera de la contrainte des ses puissantes tentacules .Il se concentra pour assener un violent coup dans l’œil du monstre qui lui fit lâcher un effroyable cri de douleur.

Mu cette fois ci par une force extraordinaire,notre héros s’appliqua sur les six autres têtes qu’il trancha une à une.

D’un geste de gloire, il entreprit de dégainer sa dague de son fourreau pour s’avança prudemment et la planter dans le corps de la bête gisante pour administrer le coup de grâce.
Haletant, légèrement blessé, heureux il cracha sur cette bête immonde, symbole du mal et des méfaits. Il détourna son regard et s’en alla vers d’autres conquêtes ou des combats rudes l’attendent.

C’était la représentation théâtrale de la méchanceté vaincue par ce héros qui luttait presque à mains nues.

Un vieil homme initié certainement aux choses de la vie et aux luttes du passé, accroupi au sol,se tenant en équilibre sur sa canne , nous chuchota alors que ce travestissement de la réalité contre de la fiction n’était en fait qu l’expression de la résistance du peuple qui luttait contre le fait colonial que représentait l’hydre aux sept têtes

Excitée par tant d’acharnements, la victoire rapide et l’exploit inattendu, extirpèrent des cris et les applaudissements de la foule.De nombreux spectateurs arrosèrent le conteur de pièces de monnaies en signe de joie et de remerciements.

Ainsi donc, au delà du fantasque et du fantasme, ce meddah ou troubadour avait un rôle social et politique important. Il luttait à sa façon pour élever les consciences en vue de mobiliser à tout instant le peuple qui avait refusé la soumission.

En grand poète, le troubadour est aussi ce grand architecte de cette oralité passionnante dans laquelle il venait s’exiler de cette dure réalité quotidienne qui se refusait à lui , même amère. Il a choisi ainsi de se réfugier dans ce monde irréel fait de combats, de luttes, d’amour et de déceptions. Tel ce héros de la mythologie grecque, il incarne à lui seul tout un capital culturel ayant permis de sauver son corps et son esprit.

Devant ses refus et ses dénégations, il est assimilé à ce grand bandit dont l’éloignement et l’exil étaient les seuls recours .De ces deux exils, le citoyen ou le non citoyen qu’était devenu l’algérien, il s’était crée un monde, un monde ou nul ne pouvait l’atteindre ou de l’en déloger car il était seul à pouvoir le dessiner et à l’habiter.

C’est l’hommage rendu au troubadour, ce compagnon de la liberté qui, à travers ses poésies, ses chansonnettes, ses mots, ses verbes, et ses aventures fantastiques, avait su galvaniser les esprits pour maintenir ce souffle et redonner espoir à la vie.

Ainsi donc le troubadour s’en alla raconter d’autres l’histoires, celles de Loundja, la plus belle femme qui put exister au monde ; Les grains de la douleurs ou les caprices d’une princesse gâtée ; La fille colombe ou l’amour passionné ; Zniber le petit chien, gardien du temple ou H’didouane le malin qui côtoyait à chaque instant l’imprévisible ogresse.

C’était toute une petite partie du répertoire qui avait, dans la tradition, forgé notre culture et notre personnalité .Là où la population puisait ses ressources pour se maintenir et se préparait pour des lendemains meilleurs

Se saisissant à nouveau de son bendir qui suréleva au dessus de sa tête, le troubadour tapa un coup un deuxième coups, suivi de plusieurs autres pour déterminer la résonance et s’en alla débiter d’autres récits sur d’autres exploits ou l’amour prenait toujours le pas sur la haine comme la liberté triomphait de l’injustice.

De ces conteurs célèbres ou Meddah qui s’apparentaient à de véritables bibliothèques ambulantes, il n’en subsiste hélas que très peu.
Ils restent cependant encré dans l’esprit de ceux qui furent bercés par ces contes magnifiques.

Oued El Khahla en fut de ceux la. Place maintenant à la boite magique ou Internet qui a tissé sa toile partout.

Entre la virtualité d’hier et celle d’aujourd’hui, il y a comme une frustration. Nous ne voulons pas subir l’événement pour être ces acteurs passifs de monde même irréel qui se fait déjà sans nous


A. Nedjar, Setif Info

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