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PARIS (23)

mardi 20 septembre 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Continuant cette joute oratoire avec Ameyar, je lui indiquai que la question demeure de savoir comment notre pays pourrait s’intégrer dans une autre logique à travers d’audacieuses réformes de l’Etat…
Si nous ne voulons pas être de mauvais élèves, il faut sérieusement commencer par la remise en cause du parti unique, la professionnalisation de l’armée, l’émergence de la société civile comme acteur de la vie publique du pays, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et publiques dont celle d’expression, primordiale d’entre toutes... Les douloureux « événements » d’octobre 1988 ont donné aux tenants du pouvoir l’occasion de démocratiser la vie publique. En vain. Le multipartisme affiché a été dévoyé en autocratie. Contrôle et quadrillage du pays sur fond de paupérisation de la population. Comment affranchir les institutions politiques du statut prééminent du président de la République, de la direction restreinte de l’armée régulièrement sollicitée pour remettre à flot le régime ; en témoigne l’arbitrage dans les batailles de succession au pouvoir par la remise sur le marché politique des anciennes élites sérieusement discréditées qui tentent de relancer le même système et renflouer la nomenklatura … Et dominer la société civile tant grandes sont ses frustrations, ses déceptions et sa méfiance de la chose politique. Et surtout s’approprier la rente pétrolière, valeur essentielle du pays, et de se répartir celle-ci…
Comment peut-on assainir la situation alors que sévit encore la marginalisation des jeunes qui constituent de loin la majorité dans notre pays et avec plusieurs millions de personnes analphabètes et sans penser sérieusement au renouvellement de la classe politique menacée de gérontocratie ?
D’abord, qu’on cesse de se gausser de nous par la pseudo « embellie financière ». Je subodore une ruse supplémentaire pour reconduire le même système afin de satisfaire les besoins démesurés de la gérontocratie au pouvoir qui agit par rhétorique arrogante ; elle fait de son passé un fonds de commerce laissé royalement en héritage à sa progéniture. Avec à la tête un président qui est un véritable monarque coopté par un cercle restreint de décideurs qui ont désormais pignon sur rue. Et qui le contrôle. Comment alors prévenir les risques certains de l’autoritarisme et de l’arbitraire ? Comment éviter l’autocratie dessinée par les bailleurs de pouvoir ? Comment empêcher ceux-ci de concevoir la vie publique comme l’accession à un plus grand patrimoine personnel ? Comment nous réconcilier avec les impératifs de la démocratie comme moyen politique à même de promouvoir la légitimité du pouvoir ? Comment faire l’assimilation critique des notions de la modernité, de la démocratie, des droits de l’homme de la femme et de l’enfant, l’alternance politique, la liberté d’expression, le débat démocratique contradictoire et le respect de l’opinion de l’autre ?
Vaste problématique. Avec la corruption et les différenciations sociales désormais flagrantes, ce sera difficile...
Il y a urgence à éradiquer l’analphabétisme, l’illettrisme et l’inculture et veiller à la meilleure répartition possible des richesses entre citoyens qui ont vocation à se gouverner, au moins à partir d’un choix facilité par le suffrage. Cette situation est hélas palpable et identique dans le monde arabe… Les pays arabes n’ont pas su s’affranchir de leur sous-développement politique. Le Liban se meurt depuis 1975 dans le confessionnalisme, la Syrie risquerait de se muer mutatis mutandis en dynastie (héritière, il est vrai, de l’expérience de Mouaouya), l’Irak dépecé depuis l’agression ordonnée et coordonnée par l’Administration américaine, la Jordanie et l’Egypte ne constituant plus que l’image de tigres en papier. Il est vrai qu’au sortir de la nuit coloniale (longue pour l’Algérie), nos pays n’ont pas su dépasser leurs divergences pour créer un ensemble arabe depuis au moins un demi-siècle (l’équivalent du temps que l’Europe a mis pour se construire). Quant au Maghreb, sous-ensemble non structuré, chacun des trois principaux pays faisant cavalier seul pour s’allier à l’Europe.
Et pour la rue arabe, la Ligue arabe végète et s’est montrée comme son aînée, l’ONU, inapte à régler des contentieux intervenus entre pays frères ; à mon avis, il n’y a rien à attendre de l’Union pour la Méditerranée tant vantée par ses promoteurs…
Exact. Rien. Nous n’en sommes ni les concepteurs ni même les co-concepteurs. Et comme chat échaudé craint l’eau froide, que l’on se remémore les accords Sykes-Picot qui ont trahi l’espoir des Arabes autant que la déclaration de Balfour. Et comment oublier la politique coloniale menée à feu et à sang durant de nombreuses décennies. Le Canada et l’Australie n’ont pas manqué de présenter sans ambages leurs excuses aux aborigènes dépossédés de leurs ressources et de leur culture et de leur proposer une juste réparation.
Et l’espace du Maghreb, doit-on se résoudre à dire qu’il est un projet chimérique ?
Que veux-tu que je te dise. Nos gouvernants ont une vision verticale des relations internationales -regarder toujours vers l’Europe, suivis en cela hélas par nos harraga- ; ils se doivent d’adopter également une vision horizontale. Et notre pays doit apprendre à tourner son regard vers sa droite et sa gauche, nos proches voisins qui ont au moins réussi, sans hydrocarbures, à se doter d’une agriculture leur assurant une sécurité alimentaire.

(à suivre)


Ammar Koroghli

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