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Ce que doit craindre le Président

jeudi 5 mars 2009, , article écrit par El Yazid DIB, Le Quotidien et publié par La rédaction


ui ou un autre, le prochain président ne doit avoir, comme souci majeur et national, que celui de pouvoir rendre son peuple heureux. Il devra donc créer le bonheur et la sensation du bien-être dans chaque corps citoyen. Et pourquoi fera-t-il ça ?

Il n’existe pas un foyer où l’amertume n’est pas de mise. L’angoisse mine tous les visages que l’on rencontre chaque matin. Elle s’efforce à s’insinuer à partir des profondeurs de la banale discussion jusqu’aux conclaves officiels. Les partis sont devenus moroses, la rue aussi. Où aller ? Même le menu que nous offre la presse à part le fouillis et les mots fléchés, est lui aussi soumis, événement oblige, à ne relater que ce qui fait mal. Assassinats, terrorisme, grève, hausse des prix, khalifa et j’en passe.

Dans ce pays, l’on dirait qu’en plus de la fuite des capitaux, des cerveaux, la joie aussi a foutu le camp. Laissant place au dénuement et aux angoisses. Malgré les embellies, financières, électorales, il n’en demeure pas moins que rien ne semble indiquer une quelconque joie de vivre ni celle de travailler encore plus oser espérer. Le pessimisme gagne tous les coeurs. Plus personne n’arrive à convaincre personne. Les mômes dans les écoles ne croient plus ce qui s’enseigne comme vérité, nationalisme ou autres. Seule importe cette note assurant un passage ou une réussite. L’université n’est faite que d’un unique et rébarbatif cursus. Les grèves. Les lycées aussi. Les professeurs du secondaire, à force de ne pas être écoutés s’arrangent pour le mieux de réussir la prochaine grève. La tutelle, le ministère, dont le titulaire détient le record de longévité et survit sans fracas à toutes ses réformes. Réformes contre réforme, l’ont est bien arrivé à détruire toute réforme. Comme l’impôt, trop de réformes tue la réforme.

Les gens ne voient plus rien venir sauf si n’était cette inquiétude sociale qui tarauderait l’esprit le plus juste de ceux qui, rares, sont aux commandes des destinées diversifiées du pays. L’on n’ose pas se dire toutes les vérités. L’allusion dans les propos officiels est devenue telle une règle syntaxique évitant à bon escient le style connu du clair, net et précis. Tellement la morosité ait pu faire son petit bout de chemin dans les allées des coeurs souffrants, qu’il ne se trouve plus d’ambitieux pouvant afficher des prétentions de vivre mieux. Le bonheur aussi aurait été rendu otage du système. Comment garder le moral des troupes en éveil souriant, quand le chargé de le leur donner se trouve en pleine tempête ? Les raisons en vue de fuir ou de sortir de l’orbite sensée vous contenir sont tellement justes qu’aucune logique ne pourrait les disqualifier. Ils sont nombreux les grévistes autant que les affamés le sont et au même titre que les diplômés chômeurs ou les chômeurs tout court. La femme algérienne est aussi dans un tourbillon que le Code de la famille ne cesse de la ballotter en tant qu’épouse, mais idem pour le couple qu’elle constitue. Le tout évolue dans les sentences variantes du rituel jusqu’au civilisationnel. Quel statut personnel lui faudrait-il qu’elle embrasse ? Entre le prêche d’un vendredi, foulard en tête et la baignade estivale toujours foulard en tête, tout le monde se cherche, sinon cherche un référentiel d’état, du moins du paraître. La société étant ainsi faite, connaît dans sa progression plusieurs effets tant positifs que négatifs. Les autres effets induits ne peuvent être que pervers. L’imposture transperce toutes les institutions de l’Etat. Les entreprises ne sont prêtes qu’à être éligibles, faillite en bout de mire ; au registre des offres publiques d’achat. L’intrusion se trouve partout. Quiconque peut devenir quiconque. Du maire, au député. Du directeur au directeur général. Sans aucun scrupule, l’appétence demeure béante par rapport à la capacité réelle de l’individu. Celui qui, la veille, rêvait en sourdine l’effleurement avec un poste donné, se réveille au bon matin et se trouve par une grâce, je ne pense pas qu’elle soit d’origine divine, investi d’un pouvoir de vie ou de mort sur des milliers de paniers de compétences et d’ingénierie technique, ne peut que rire et sourire en sourdine à cette destinée inespérée. Rien ni personne n’empêche le pauvre, par subterfuges, de s’enrober dans le faste du luxe et de l’embourgeoisement. Les banques, effectivement, ne prêtent qu’aux riches. Ils s’enrichissent davantage sur les ruines encore en décombres des bougres justiciables à outrance et imposables à satiété. La richesse des uns peut provenir de la richesse des autres, elle peut tout aussi provenir de la pauvreté des autres, mais pas forcément en les rendant plus pauvres tout en appauvrissant leur gène de régénération. La justice n’est pas dans la justesse du droit mais dans celle de la sentence. Car à quoi rimait, en fait, le fait d’avoir les meilleurs codes, les législations les plus complètes, si, au tournant d’un événement ou d’une circonstance, l’application serait compromise, compromettante ou incomprise ?

Le fossé qui sépare des éléments sensés former l’unité d’une oeuvre est visible en tout domaine. Ainsi, une opération électorale supposerait l’existence de deux acteurs. L’éligible et l’électeur. L’on n’y voit que l’engouement du candidat. L’autre partie est totalement désintéressée. L’exemple reste édifiant à voir la dense foule faire le guet par-devant les sièges centraux des partis pour un éventuel cautionnement ou parrainage, ou prise de part dans un comité de soutien, alors qu’ailleurs dans la rue, les badauds donc les électeurs se demandent s’il s’agit là d’une agence d’emploi, de recrutement ou d’une distribution de logements. C’est un peu çà à quelques différences près. La chasse des privilèges. Le même fossé existe aussi dans d’autres corporations. Qui active dans telle ou telle association ? Sans adhérents, sans militants, l’on n’y voit que le ou les responsables s’intronisant pour agrandir l’impact et tentant de dimensionner les sièges qu’ils occupent. Ceci sera également valable dans le champ culturel. Il y a des musées, pas de visiteurs. Il y a des auteurs pas de lecteurs. Il y a de la poésie, pas de critiques littéraires. Mais encore, le hic c’est qu’il n’y a pas de logements, mais beaucoup de demandeurs. Il n’y a pas de postes vacants, mais beaucoup de sans-emploi. Aléatoirement, l’on constate qu’en face d’une production donnée, pas de consommateurs. Inversement, face à une demande accrue, pas d’offre du tout. C’est dire que le fossé s’agrandit de jour en jour. Le pouvoir est en face d’une façade semblant incarner l’opposition, mais agit seul et sans aucun opposant. Autrement, il y a une opposition, mais pas d’opposants. Les quelques oppositions qui puissent se pratiquer reposeraient en tant que revendications, ou sur un point de fixation personnel sur une cible déterminée ou sur un intérêt étroit quoique politiquement réduit à une utilité publique.

Ce qui peut être qualifié d’écart de démarche, ce sera aussi ce paradoxe qui perfore l’équilibre du moyen et de l’objectif. A quoi en réalité est destiné le programme de relance économique, si le citoyen perd toute envie de continuer à l’être ? Soit de persévérer à « jouir » de cette qualité. Il se dit, en son for intérieur, qu’il ne constitue qu’une unité statistique dans un état de recensement démographique. A la limite, il est inscrit anonymement dans une case devant servir un chiffre. Ce sentiment est malheureusement partagé par l’ensemble des éléments de la masse sociale. Même le ministre n’est certainement pas bien dans sa peau, tant que son poste, sa position et ses manoeuvres sont astreints à une conjoncture dont le dénouement et le devenir lui échappe totalement. Le comble de sa souffrance c’est que s’il avait pu savoir le moment le rendant ministre, il ne saurait point quand, il ne le sera plus. A quoi serviraient les plans de modernisation si l’on continue à faire appel à du réchauffé, à l’immérité ou à du simple copier-coller ? Quand une crème quitte un gâteau, ce n’est pas à la cerise congelée de pouvoir donner tout le bon goût du met.

Il y a toujours une raison à la déraison. La folie est, lorsque le bon sens fout le camp, une bonne raison pour s’enfuir du réel. La léthargie, la somnolence ou l’hibernation s’avérerait une thérapie d’urgence. Donc, le président n’aura qu’un souci, c’est celui de s’atteler à rendre son peuple heureux. Le malheur, si par malheur continue de sévir, sera sans doute la grosse crainte qui taraudera le pouvoir...


El Yazid DIB, Le Quotidien

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