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Liberté de presse et liberté d’expression

lundi 4 mai 2009, , article écrit par El Yazid Dib, Le Quotidien d’Oran et publié par La rédaction


out donne à croire que le pays entier fait son ordre du jour dans l’exposition que nous offrent chaque jour les buralistes. La presse fait des vagues. La politique complique davantage l’imbroglio de sa gestion. Le terme « presse » n’existait pas au moment où naissait le code de l’information (loi n 82-01 du 06 février 1982). Il ne s’agissait en fait que d’une « activité de distribution des informations écrites et photographiques » et dont le monopole est détenu exclusivement par l’Etat (cf. art 24 de la loi précitée).

Les retombées d’octobre n’ont eu de cure, dans un saut de démocratisation des moeurs politiques du pays, Constitution aidant, qu’à faire accompagner cet élan par un train de mesures naturelles forcément recommandées par l’option de la libéralisation des activités connexes à l’exercice de l’acte démocratique. La presse faisait son éclosion. Une notion demeurée longtemps enfouie dans les interstices de l’obédience socialiste quant à la gestion de l’information. Outil dangereux, le traitement de « l’information » nécessitait un comportement managérial très particulier, à la limite de la propagande, et n’était perçu qu’au travers un schéma de diffusion de l’information « utile ». Au pouvoir en place bien entendu. Le sensationnel, à lire dans la presse d’outre mer, était chez nous un fait divers ou un produit inédit de la « force révolutionnaire » qu’entretenaient tous les programmes sectoriels ou les visites impromptues du chef de l’Etat ou de ses ministres. Les seuls quotidiens étaient ceux qui faisaient les longs reportages sur les bienfaits de telle révolution ou de telle autre. Vitrine sur un passage obligé, le journal se consommait au même titre que s’use le journal télévisé. Tous tenaient à porter à notre connaissance ce que le pouvoir voulait qu’on sache.

A faire une brève comparaison de ce qui se pratique, de ce que nous lisons, de ce « qu’ils » veulent nous faire lire, n’y a-t-il pas lieu de lâcher un grand soupir de regrets et d’avoir, nonobstant le souci de la démocratie, une certaine nostalgie et d’affirmer qu’en finalité « tout allait bien » ? Bref...

Pris dans les mailles du choix imposé d’une vie de démocratie, le pouvoir devait lâcher du lest en faveur des libertés publiques. L’essentiel de ces libertés, en dehors de celles relatives à la circulation des biens et des personnes, des associations, des réunions de personnes , s’érigeait telle une exigence à satisfaire en termes immédiats ; la liberté de dire, de parler, d’écrire, de penser, de réfléchir, enfin tout ce qui se rattache aux droits subjectifs de la personne et de l’individu. Mais, dans ce grand cahier de besoins exprimés par la communauté nationale, l’on oubliait de rendre facile les grilles de lectures de toutes ces libertés. Flottant d’une définition à une autre, d’une terminologie à une idéologie, « l’activité de distribuer des informations » pataugeait sciemment dans les débats stériles du choix des mots. Liberté de presse ? Liberté d’expression ? Presse privée ? Presse indépendante ? En fait, le législateur aurait carrément évité le style juridique adéquat au profit des notions flexibles de toute conjoncture politique. Cela serait à justifier par la démarche visant à atteindre au pas à pas le zénith de l’entièreté libertaire. Soit, allons cahin-caha vers les monts de la haute démocratie. On voulait construire d’abord le réceptacle destiné à recevoir toute sorte d’information avant de se lancer tout azimut vers la production de cette « information. Le défi a échoué. L’audience nationale n’était prête que pour le scandale et les faits fortement sensationnels. La commercialité commençait à puiser ses intérêts justement dans le plateau médiatique à offrir journellement aux lecteurs. Sans aucune étude de lectorat, seule la statistique des vendus renseignait utilement les producteurs sur l’importance de leur audimat graphique. L’éthique n’était et n’est pas, du moins pour certains titres, une limite déontologique à respecter scrupuleusement. Le gain, la rapine et la combine demeuraient les principaux critères de régulation du nombre de tirage. L’on se tairait sur les conditions tantôt complices, tantôt de liaison fatale, qui organiseraient la construction d’un journal. Sa vitalité ne dépend pas toujours de l’excellence des plumes qui y sévissent, plus qu’elle ne s’accroche à des pages où le spot, le slogan et la source commerciale sont le souffle et l’âme de l’édition. Mais ce sera aussi de la sorte que se font les grands titres. La liberté d’expression se découvrant moulée dans celle de la presse, il n’y aurait nulle échappatoire à cela.

Ainsi, le code de l’information se trouvait à son tour dans une obligation politique de refaire un toilettage. La loi n° 90-07 du 03 avril 1990 fut consacrée avec son intitulé générique de loi « relative à l’information » de là, les déboires des titres, des propriétaires des clans, et aussi les affres du pouvoir, de simples personnes, d’institutions honorables, débutaient à voir leurs noms, leurs sigles, leurs professions de foi déballés au grand jour. Cette approximative « liberté » se faisait aux dépens de toute règle de présomption d’innocence, de préservation de secret professionnel, ou du respect de la vie privée des personnes.

Ordinaires individus ou hauts responsables, actuels ou anciens, subalternes ou supérieurs, morts ou vivants, tous ont eu à connaître dans leur chair, les douleurs affreuses d’une suspicion, d’un colportage, d’une diffamation ou d’une énonciation dévoilant une intimité. La presse se confirmait en pouvoir authentique. Le tapage sur une personnalité ou sur une institution semblait se ranger loin d’un rapport de fait ou d’événement plus qu’un rapport de force. Des feuilletons interminables viennent entretenir chez le lecteur le goût inachevé d’un épisode se terminant inlassablement par la mention « à suivre ». Les frais étaient immenses en termes de moralité. Mais en termes de traitement politicard, cette tendance d’une certaine presse confortait son rôle dans la décision de vouloir changer les choses. Un simple article sur une responsabilité donnée donnait lieu à un contrôle commandé ou un limogeage.

Comme l’inverse est aussi vrai. Des personnes liées à la gestion d’institutions faisaient paraître leur profil fort, afin d’amadouer ou de faire déviation sur la déroute qui greffe leurs attributions sectorielles. L’on se tait sur les frasques. L’on se mue dans une totale méconnaissance de ce qui moisit, comme pourriture gestionelle, dans les intestins de telle ou telle institution et ce, eu égard aux liens entretenus et bien nourris avec certains organes.

Le pays gérait ainsi ses institutions et ses cadres à travers le « rapport » de presse. Cette situation s’assimilait de toute manière à des lettres anonymes rendues un peu publiques. L’Etat suivait, pourtant, sans se soucier de sa crédibilité, la voie toute indiquée par la suggestion du papier. Combien de décisions positives ou négatives ne furent-elles pas prises en faveur ou à l’encontre d’hommes et d’institutions suite à des « nformations » parues dans la presse » ? Si informer est une noblesse dans la transmission du fait qui devait se faire avec toute une habilité, la fidélité de la transmission du fait tel qu’il se présente restera une autre noblesse à acquérir avant d’égratigner par la plume la dignité ou l’intégrité morale des uns ou les autres. Rapporter une information » n’est pas la commenter, ni une vérité absolue encore moins contraindre autrui à y croire avec acharnement. Les professionnels du journalisme en tant que discipline de la science de la communication affirment à ce sujet que « l’information est objective, le commentaire libre ».

Sur un autre registre, l’on s’accorde à redire que quelles que soient les tendances idéologiques ou politiques des titres, il restera néanmoins des ligne-phares à révérer. Tendre vers l’apologie du crime est un crime en soi. Susciter la rébellion est plus qu’une trahison. Ameuter les gens autour d’un autel dressé à l’avance pour le sacrifice de quelqu’un n’est pas digne d’une société qui se veut à l’écart de l’obscurantisme et des pratiques révolues de l’inquisition. Ainsi, malgré des réticences inouïes, il subsistera dans toutes les civilisations des constantes que, n’ayons pas peur d’appeler les constantes nationales. Insulter sans égard la personne du chef d’Etat en ne faisant point de différence entre ce qu’il représente et ce qu’il est, est loin de constituer logiquement ou apolitiquement une forme en soi d’une quelconque liberté. La protection des personnes étant constitutionnellement garantie. Et le code pénal bis en est répressif. La conjoncture actuelle a l’air de donner l’impression d’une indifférence totale vis-à-vis de ce qui s’écrit, si ce n’était la secousse morale que peut provoquer le rappel de toute clarté consciencieuse. Tout ce déballage qui, d’ailleurs, n’a aucune raison nationale d’avoir lieu, vu les défis attendus, les vrais problèmes, les crises authentiques , serait le prélude à un combat important. A-t-on besoin à chaque élection de briser nos forces et jeter l’opprobre sur nous-même ? De casser, d’emprisonner, de faire peur, d’intimider, d’être injurié et diffamé avec ses frères et sœurs ?

Faudrait-il un jour croire en l’avènement d’une véritable presse impartiale dans le traitement quoique partisane dans le principe ? Une presse libre et indépendante de tout lien, sauf de servir le pays et savoir se taire au moment décisif. Encore que se taire ne peut être une réfutation de la liberté d’expression. C’est un acte actif lorsqu’il est pratiqué opportunément et à bon endroit rendra d’innombrables services.


El Yazid Dib, Le Quotidien d’Oran

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