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Sétif aujourd’hui, est-ce la fin d’un particularisme ?

lundi 24 mai 2010, , article écrit par Amar DJERRAD et publié par La rédaction


On observe depuis quelque temps un phénomène inhabituel, à Sétif, dont les acteurs sont les jeunes des cités qui ont pris l’initiative de s’occuper de ce qui reste comme « espaces verts » pour les nettoyer de leurs détritus et y planter des arbres en y érigeant même des clôtures ! Paraissant anodines, ces actions d’une importance particulière contredisent, en fait, les mauvais qualificatifs dont on charge habituellement la jeunesse. Cet acte volontaire ne peut qu’être encouragé et suivi, car il fait revivre l’espoir que l’on croyait perdu.

La ville en effet, cumule un niveau de dégradation environnementale telle qu’il n’est plus possible que les choses contenues malgré les interventions des autorités pour améliorer le cadre de vie. Mais cela reste insuffisant si d’autres mesures d’accompagnement ne sont pas instaurées à savoir une bonne gestion, un suivi et un contrôle permanent, mais aussi la répression en cas de manquements. L’environnement, cet ensemble qui entoure l’homme (ses cultures et ses activités), qui lui permet de vivre décemment et dans la sécurité, subit toujours les violences et les coups d’une évolution incontrôlée.

Même s’il faut reconnaitre une expansion rapide à bien des égards, Sétif, jadis réputée pour sa propreté et son hospitalité, est devenue, soudainement, une ville où il ne fait pas bon y vivre.

Les citoyens ont leur part de responsabilité dans cette dégradation. Ils n’ont pas encore ce respect pour l’environnement soit par ignorance des notions soit par intérêt ou carrément par paresse. Les constructions illicites continuent à s’ériger malgré quelques campagnes de démolition. Il y en a encore qui s’arrogent le droit de greffer des ‘excroissances’ à leur appartement du rez-de-chaussée sans se voir inquiétés. L’intérieur des logements fait l’objet de transformation continu ; qui, pour inclure le balcon et ‘gagner’ une chambre ; qui, pour détruire un mur porteur et ‘agrandir’ le salon ; qui, pour ouvrir une fenêtre en trouant une structure ; les détritus qui en découlent sont souvent jetés sur « l’espace vert ou aire de jeu » mitoyen. Presque tous les locaux prévus pour le commerce, au bas des immeubles, ont été transformés en appartements. Certains jettent toujours les ordures de façon aléatoire en n’assimilant pas encore que le sachet à ordures se met dans la poubelle et non à côté, etc. L’incivisme et la délinquance sous toutes ses formes (routière, violence, drogue, vols) semblent multiplier etc.

Les pouvoirs publics contribuent, eux aussi, à cette déliquescence en n’entendant rien et ne voyant rien. L’absence des représentants de l’État est avérée au point ou cela touche tous les aspects de la vie. Que ce soit en matière d’urbanisme, de commerce, de transport, de santé publique ou de répression de l’incivisme.

En matière d’urbanisme, le laxisme a encouragé des comportements insolites. Il y a d’abord ces bidonvilles, tels celui de ‘Ain Trik’ situé en banlieue sud-est toujours en extension ou celui de ‘Chouf Lekdad’ près de l’Université, qui défient la nature, la raison et les autorités qui restent impuissantes face à la complexité du phénomène, ensuite nous avons ces façades des immeubles défigurés par des modifications anarchiques de balcons ou la construction de garage avec dalle dans les concavités en portant, parfois, atteintes à la structure. Nous avons aussi cette impunité suite au non-respect des plans de construction des maisons qui prévoient des jardins, des espaces d’aération et une certaine esthétique. À titre d’exemple, la cité Tlidjene réputée pour ses villas avec jardin, se métamorphose lentement pour laisser place au béton, et ce, à cause d’un entrepreneur qui a trouvé l’idée d’acheter les villas situées sur les angles pour y ériger des immeubles de 3 étages avec garages et dont-on se demande par qu’elles prouesses ‘juridiques’ il arrive à les vendre en appartements ! Le constat est valable pour la cité dite des « Cheminots ». Ces immeubles d’une laideur indicibles qui s’élèvent dans ces lieux inappropriés, au détriment du paysage urbain, l’ont été avec des permis de construire faisant fi aux lois et règles urbanistiques. Presque tous les espaces prévus ‘verts’, ‘aires de jeu’ ou ‘parking’ des autres cités ont été ‘achevés’, il y a bien longtemps, en les attribuant à des promoteurs pour y rajouter des immeubles ; même ceux des cités, dont les habitants, sont propriétaires. Les citoyens qui ne cessaient de dénoncer ou protester ont été carrément négligés. Comment peut-on se permettre de tels écarts ? Là est le drame ! Dès lors, que peut bien faire la police urbaine même si son rôle est bien défini ; motif avancé parfois pour expliquer son immobilité.

En matière de VRD et plus précisément d’adduction des eaux pluviales, d’assainissement et de voirie, beaucoup restent à faire. Il suffit d’un orage et presque toute la ville s’inonde 3 ou 4 jours durant avec tout ce que cela engendre comme désagréments (boue, circulation, etc.) Des efforts particuliers doivent être déployés dans ce domaine et plus précisément dans la gestion et l’entretien, mais aussi du point de vu technique.

Les trottoirs aux piétons ne sont plus que des escaliers de 2 à 4 marches. Mêmes aux normes, ils sont souvent impraticables, car ‘squattés’ par les commerçants qui les ont intégrés en devantures avancées de leurs boutiques ou occupé par un genre de ‘kiosque’ de 1 m2 en bric-à-brac au début pour devenir, impunité aidant, de vrais bazars de 10 à 20 m2 qui s’érigent en ‘dur’ ; quelques mois plus tard.

En matière de commerce, c’est vraiment le souk au sens nuisible du terme. L’exemple du marché de fruits et légumes que l’on appelle ‘souk Abacha’ - auquel s’est greffé autour sur les trottoirs et chaussées, tels des tentacules, des étals d’un commerce informel, dominant - défi toutes les lois humaines ou divines dont il est fastidieux ici de citer les désagréments occasionnés et surtout les atteintes à la sécurité et à la santé des citoyens. Des tonnes d’ordures décomposées empoisonnent l’atmosphère par des odeurs nauséabondes. Ce sud de la ville vit bien l’enfer depuis des années avec ce souk, ces grossistes de la cité ‘Kerouani’, ces marchés de gros des fruits et légumes, de bestiaux et des véhicules, ainsi que l’abattoir communal. Même les mosquées, ces lieux de prières et de méditation, ne sont pas épargnées. On imagine la pagaille qu’il peut y avoir avec des alentours pleins de vendeurs de tous genres, y compris de poisson, vociférant à tue-tête à la sortie des fidèles et les routes qui bordent encombrés de véhicules qui stationnent même en 3ème position ! C’est le même carrousel interminable, dégradant devant la ‘maison de Dieu’ durant toutes les prières de la journée. Durant le Ramadhan, cela est indescriptible, car il faut ajouter les barbecues, et ce, jusqu’à l’aube. Certains espaces publics ont même été accaparés par des bandes organisées pour les ‘louer’ en guise d’espaces commerciaux ou ‘parkings’ sauvages. Ce qui ne manque pas de susciter des jalousies et rivalités souvent violentes.

Le transport urbain semble suffisant, mais désorganisé. Le parc ‘privé’ est vétuste. Il offre un spectacle des plus désolants. Certains véhicules s’apparentent à des épaves et les citoyens qui les empruntent endurent, chaque jour, les pires désagréments. Sales, polluants et inadaptés on se demande comment ont-ils pu obtenir toutes les autorisations de mise en circulation. L’exemple le plus frappant, par son ‘concentré’ d’anarchie et de débandade, est bien l’axe routier dit « route de Sillègue ». Malgré quelques interventions par le bitumage et enfin des rondes de policiers, il reste toujours laborieux du fait de sa configuration et des pratiques insensées qui s’y sont incrustées dans les consciences. Comment en effet résoudre cette équation ? Un axe routier d’environ 2000 m, large pour juste 02 bus. Théoriquement à sens unique, mais pas dans les faits. Le stationnement est théoriquement alternatif, mais pas respecté. Des semblants de bus, dans leur majorité, qui ne respectent ni les horaires ni les arrêts et qui font parfois la course au client. Des trottoirs étroits et squattés par les commerçants, ayant pignon sur rue, qui par endroits débordent sur la route même. Ajouter à cela une forte population qui ne sait plus où donner de la tête et… des pieds ! L’absence continue de contrôle, de sanction, fait dire aux citoyens de cette grande cité, abritant le tiers de la population, qu’ils habitent « un territoire sans loi » au point ou des énergumènes négligent la ceinture de sécurité. Pourtant cet incivisme, indiscipline et ce non-respect des lois ne cessent d’être dénoncés par les citoyens.

Pour ce qui est de la criminalité, on doit dire que Sétif, qui était relativement épargné par l’insécurité et le banditisme, fait face, depuis quelques années, à une recrudescence de la délinquance sous diverses formes ; phénomène qu’il faut prendre en charge à bras-le-corps. Outre les attaques aux biens d’autrui, les faits de violence sur des personnes et la délinquance routière, on enregistre des cas d’agressions sur mineur, d’associations de malfaiteurs, de faux et usage de faux, de falsification, de trafic et vente de drogue, de cas de mœurs. Combien de faits criminels graves se rapportant à des crimes de sang ont été rapportés par la presse. Le constat des bilans fait la Gendarmerie nationale en 2007 et 2008 fait apparaitre une nette progression de la criminalité dans la wilaya de Sétif ; surtout dans les infractions et délits au Code de la route. Si dans un passé récent, le sétifien était prompt à affronter et à dénoncer les déviations, aujourd’hui il le fait de moins en moins. L’absence de réaction chez beaucoup agents devant des faits délictueux (grillé un feu rouge, stationnement et dépassement interdits, rixes et autres incivismes) est une mansuétude parfois voulue. La raison, en effet, n’accepte la sanction que lorsqu’elle est équitable et non discriminante. C’est la sensation de sécurité qui encourage le civisme. Il faut donc changer de démarche et de méthode pour d’une part regagner la confiance du citoyen et d’autre part permettre aux agents d’accomplir correctement leur devoir. Un autre travail de pédagogie continu est nécessaire afin que les uns et les autres se côtoient dans le cadre de la loi pour la prévention et la répression des délits, et ce, pour le bien-être de tous.

Le Sétif actuel n’est pas celui du passé récent. Ces phénomènes existaient, mais pas de cette ampleur. C’était une ville propre et paisible. Aujourd’hui, toutes les valeurs qui faisaient le particularisme de cette ville semblent perdues dans les méandres d’une évolution incontrôlée ! Comment en est-on arrivé à un tel basculement et avec une telle rapidité. Tout le monde s’accorde à situer la date dans les années 90 et la cause à un exode important fuyant le terrorisme pour un endroit plus sécurisé. Les plus aisés ont acheté des terrains, des immeubles, des villas, des appartements et commerces après avoir vendu leurs biens, les moins aisés se sont regroupés comme ils peuvent. Ce faisant, les prix de l’immobilier ont quintuplé, l’emploi devient rare, les maux sociaux se sont multipliés, les habitudes et mœurs citadines ont cédé la place à d’autres comportements. Sétif est devenu, comme la qualifient certains spécialistes, une grande ville « rurbaine ». Même l’administration n’a pas échappé du fait d’une dépréciation des valeurs et de l’incompétence des commis qui la composent. Sans objectifs et programmes clairs et précis et des méthodes arrêtées qui permettent de définir des actions coordonnées, l’administration donne l’impression qu’elle ne fait que parer au plus pressé.

Le miracle ne peut venir que par une réflexion et des actions concrètes utiles en rapport avec l’organisation et la sécurité de la ville, avec le style d’urbanisme et de l’habitat, avec une administration compétente et organisée, avec la lutte contre le gaspillage constaté, avec une bonne coordination des services de l’exécutif, avec le bien-être et le civisme des citoyens pour ne citer que quelques aspects de gestion de la Cité. Il existe encore des gens de bonne volonté et des compétences qui ne demandent qu’un peu de considération de protection et de conditions pour les voir s’épanouir et se mettre au service de leur ville et de leur pays qui ne peut qu’en tirer avantages et bienfaits. Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant qu’il existe une mentalité propre à Sétif. Les sétifiens tiennent à un certain mode de vie qui fait que l’on apprécie leur ville à travers toute l’Algérie. Cependant, il nous semble que ce particularisme tend à disparaitre. Il serait vraiment dommage de perdre une telle valeur !

(Article lu dans Liberté)


Amar DJERRAD

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