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Perspectives du projet urbain en Algérie : Cas d’El-Ali à Sétif

mardi 22 novembre 2005, par La rédaction


Par DIAFAT Abderrahmane, MADANI Said et TACHERIFTE Abdelmalek

I - Introduction :

Dans le contexte de compétition territoriale actuelle, certaines villes algériennes veulent se donner les moyens de réaliser des projets urbains prestigieux à la mesure du rang qu’elles occupent à l’échelle régionale, voire nationale. Sétif n’échappe pas à cette règle. Les paramètres liés à son développement, en tant que pôle régional (Madani et Diafat, 2002), l’importance de la population et le brassage des flux financiers pourraient être de nature à favoriser la réalisation d’un projet d’une grande envergure, tel qu’un hôtel "haut de gamme".

Le bailleur de fonds du projet est la CNEP-Banque et le Maître d’ouvrage délégué depuis 1998 est la SPI - CNEP-Immo, héritier de l’ex-SPIE restructurée. Le site du projet à lui seul tente n’importe quel investisseur, vu sa position stratégique en plein centre ville de Sétif et franchissant le parc d’attraction "la Citadelle". Les avantages qu’offre ce site sont nombreux, néanmoins les contraintes du tissu historique, en tant que contexte du projet, sont diverses. D’où la nécessité d’une approche se basant sur la dynamique du projet urbain pour préserver l’équilibre déjà établi au niveau du quartier du point de vue urbain et architectural.

Faut-il rappeler également que ce site regorge de vestiges romains, voire il constitue la superposition de plusieurs civilisations que Sétif à connues des siècles durant. Il est curieux que la mairie de l’époque ait décidé de livrer ce terrain à un promoteur immobilier privé pendant quelque temps avant de le mettre en adjudication et le céder finalement à la CNEP. Les enjeux doivent être de taille et les autorités locales voyaient déjà un projet prometteur pour la ville, sinon comment justifier une telle décision.

De surcroît, une décision de telle importance pour la ville, n’a vu aucune consultation populaire préalable. Donc, on est encore loin de la gouvernance et ses vertus tant relatées dans les discours de nos gouvernants et élus.

II - Initiation du projet :

L’idée du projet Sétif El-Ali (SEA) a connu le jour au niveau de la Direction de la CNEP lorsque le terrain actuel a été mis en adjudication par la mairie (APC) de Sétif en 1993. Le terrain, s’étalant sur une superficie de 8052 m², a été acquis au prix de 28 182 000 DA (Dinars algériens), ce qui donne un coût d’environ 3500 DA le mètre carré ; prix maximum d’acquisition à l’époque en référence au texte relatif au prix de cession des terrains par les Domaines. Le prix était raisonnable vu l’endroit où se trouve le terrain.

Ce terrain est délimité par la crèche et le Musée au nord, la piscine municipale à l’est, la rue du 8 Novembre 1971 au sud et le parc d’attraction à l’ouest. Sa proximité des institutions publiques : siège de la Wilaya, Hôtel des finances, APC, la Cité financière, etc. et son implantation dans le périmètre du parc d’attraction, lui confèrent cette place de choix. Par rapport aux multiples avantages que présente ce site, il a été donc décidé de rentabiliser le projet au maximum. Le programme retenu initialement comportait 156 logements promotionnels et un grand centre commercial dans les niveaux inférieurs avec des parkings au sous-sol.

Le concours, relatif à l’étude du projet SEA en 1994, a été remporté par un bureau d’étude public d’Alger, le BEREG. Une année plus tard en 1995, la réalisation du projet a été confiée à l’entreprise publique STWS qui était déjà en difficulté, et le projet ne pouvait sortir du sol qu’en 1998. L’entreprise en question était dissoute et le projet alors est repris par un groupe d’entreprises privées, la Nova-Invest de Sétif, qui a mis tous les moyens dont il dispose pour activer la réalisation des gros œuvres et remettre l’ouvrage dans son état actuel au courant de l’année en cours 2003.

III - Elaboration du Programme :

Le programme initial était élaboré pour la réalisation d’un centre d’affaires "El-Ali" sur une surface bâtie de 7880 m² et une surface de plancher d’environ 50 000 m². Ce qui donne une emprise au sol de 98%. Ainsi, il était prévu ce qui suit :

 Le sous sol sera entièrement réservé aux parkings. Une bâche à eau est prévue à un niveau plus bas - 5,00 m, ainsi qu’une centrale de climatisation.
 Le niveau semi enterré comporte une partie pour les parkings, et l’autre partie - donnant sur la rue - est prévue pour des activités commerciales tels que : taxiphones, tabacs et journaux, et un jet d’eau.
 Le rez-de-chaussée abritera le centre commercial.
 Le premier étage sera un espace pour une cafétéria et un restaurant avec terrasses et un grand magasin pour habillement.
 Dans le deuxième étage, il est prévu deux salles de cinéma, des salles de jeux et de sports, et deux cafétérias avec terrasses.
 Les bureaux pour les agences et les fonctions libérales se situeront au troisième étage.
 Le quatrième étage sera organisé comme centre informatique, bibliothèque et deux salles de conférences.
 Enfin, les étages restants seront occupés par des logements de type standing (studios, des appartements F3 à F6 et des duplexes). Au dernier étage se trouvera la bâche à eau contre incendie.

IV - Mise en œuvre du projet :

L’étude du projet a été confiée au Bureau d’étude BEREG, tout en lui donnant des directives exprimant l’idée du maître d’ouvrage. Cet aspect a été respecté par le maître d’œuvre et sera présenté ci-après sous forme de parti architectural et urbain.

La phase de réalisation a connu des haut et des bas. Toutefois, on retient l’aspect technique dans son état le plus simple, du point de vue structure, du moment que l’état actuel du bâtiment se limite aux gros-œuvres. Enfin, un aperçu est donné sur le coût du projet jusqu’à l’arrêt des travaux en 2003.

4.1 - Parti architectural et urbain :

Pour la réalisation du programme sus-mentionné, certaines exigences ont été formulées pour le maître d’œuvre : (CNEP-Immo : Fiche technique du projet, 1998)

 La composition géométrique du projet doit tenir compte des caractéristiques du tissu urbain, ordonner les éléments du projet et permettre une occupation rationnelle du sol. Les deux sous sols doivent occuper la totalité du terrain : le premier sous sol doit être accessible à l’aide de deux rampes à double sens par la partie haute du terrain. A partir de la partie basse du terrain (la rue), on accède au deuxième sous sol par deux rampes à double sens.

 Une partie du premier sous sol, donnant sur la rue, comportera des magasins pour animer cet espace public. La partie enterrée de ce niveau sera occupée par le parking et éclairée à partir de la verrière qui couvre la cour intérieure.

 L’accès aux logements se fait par le haut du terrain à l’aide de deux grandes cages d’escaliers avec ascenseurs qui prennent départ à partir de la cour intérieure en R.d.c. La hiérarchisation des espaces : publics, semi-publics, etc. est requise.

 La sortie des utilisateurs des parkings vers l’extérieur ou vers les différents niveaux d’équipements et logements se fera à l’aide de trois grandes cages d’escaliers, dont deux avec ascenseurs. Celles-ci donnent directement vers l’extérieur et sont ouvertes en façades, ce qui permet d’évacuer une partie des fumées dégagées par les véhicules. L’autre partie étant évacuée par des extracteurs qui sont prévus à cet effet.
 Une bâche à eau enterrée est prévue au deuxième sous-sol, ainsi qu’une centrale de climatisation. Une autre bâche à eau contre incendie est prévue en terrasse du premier niveau afin qu’elle puisse se déverser automatiquement au cas ou un incendie venait à se déclarer.

 Le bâtiment projeté s’inscrit dans une composition harmonieuse respectant les vues sur le parc d’attraction. Le projet associe espace et expression de façades. La façade donnant sur rue est en retrait par rapport à la structure qui est apparente, créant ainsi une galerie commerçante. La transparence des espaces atténue l’opposition entre espace intérieur et extérieur.

 La disposition des différents éléments : bâtiment, cour intérieure et espaces d’accès, intègre l’ensemble à son environnement urbain (piscine, musée, etc.) et notamment au parc d’attraction qui lui sert de toile de fond. Contrastant avec l’échelle extérieure, volontairement restreinte, le hall d’entrée à double hauteur relie la rue aux différentes circulations verticales qui conduisent les habitants, les visiteurs et clients aux différents espaces disposés autour d’une cour centrale couverte par une verrière.
 L’organisation interne est simple et structurée sur un parcours qui relie entre eux les six niveaux d’équipements, le parcours est rythmé par une alternance d’espaces statiques et dynamiques, les seconds travaillent comme espace de liaison entre les premiers, entre les salles et le hall d’exposition.

 Cette opposition entre espaces est accentuée par des jeux de lumière et des traitements d’éclairage aux différentes fonctions, la bibliothèque, la salle des conférences, sont ainsi éclairés zénithalement par des verrières. Les espaces de transition sont ponctuels par des fentes horizontales qui laissent entrevoir l’espace de la cour intérieure dans laquelle se trouve la fontaine, le jet d’eau.

 Le restaurant placé au premier étage s’ouvre directement sur la terrasse, qui a une vue sur le parc d’attraction. Les deux ensembles de logements sont reliés entre eux par deux satellites au niveau du neuvième et treizième étages.

4.2 - Etat de réalisation du projet :

La hauteur des tours était décidée en fonction des moyens des entreprises de construction locales, notamment la capacité et la hauteur des grues. La structure du bâtiment est mixte : en poteaux poutres et voiles. Ce procédé traditionnel (avec coffrage en bois) en béton armé a nécessité des quantité énormes de matériaux de construction, mobilisant ainsi tous les moyens de Nova-Invest. L’enjeu le plus important de cette phase de construction était le béton, certains entrepreneurs ont même anticipé ce marché juteux en achetant des centrales à béton pour l’occasion.

L’ouvrage est réalisé entièrement dans sa phase gros-œuvres et l’étude de reconversion est fin prête. La bâtisse occupant 7880 m² est constituée de deux sous-sols, un rez-de-chaussée et 17 étages, dont 13 destinés à l’origine à divers logements.

Le montant des engagements cumulés à la fin de 2001 s’élève à 708 million de DA (environ 7 millions d’euros), dont 570 million de DA sont payés au titre de la même période.(KP Partner, 2002)

VI - Redéfinition des objectifs :

La décision de reconvertir le projet SEA (156 logements avec commerces et parkings) en un projet d’hôtel 5 étoiles, démontre les difficultés du maître d’ouvrage à définir des objectifs clairs, en pleine période de mutations économiques et sociales (d’une économie administrée à une économie de marché). En 1993, la CNEP a voulu s’initier à l’investissement dans de grands projets, mais le processus s’est fait d’une façon hâtive, sans une étude adéquate et réelle du marché.

Lorsque le projet se réalisa totalement dans sa phase de gros œuvres, le maître d’ouvrage commença à douter de la rentabilité d’un projet de logements de 17 étages en plein centre ville, avec tous les impacts qu’un projet de cette envergure puisse avoir sur son contexte immédiat, surtout du point de vue densité résidentielle et les besoins engendrés en terme d’équipements d’accompagnement.
Cette reconversion a été décidée par le maître d’ouvrage (CNEP-Immo) sur la base des paramètres suivants :
 L’importance de la population locale avec une part élevée de l’émigration, source de revenus en devises.
 L’ouverture d’un nouvel aéroport à Ain Arnat, susceptible de faciliter la mobilité d’une clientèle d’affaires.
 L’expansion économique de la Wilaya de Sétif, voire de la région des hautes plaines avec la réalisation de nouveaux investissements.
 Le volume des montants de liquidités monétaires collecté par le secteur bancaire local, considéré comme le plus important après celui d’Alger.
 Le développement éventuel de l’activité touristique locale et régionale.

Le nouveau programme se présente comme suit :
 Hôtel 5 étoiles avec une capacité de 222 chambres, 98 suites et 11 duplexes.
 Restaurant panoramique au dernier étage.
 Quatre niveaux réservés à l’infrastructure administrative, commerciale et d’animation.
 Structures utilitaires : parkings, bâche à eau, poste de contrôle, réception, infirmerie, poste de surveillance.

Piscine déjà acquise.
La Direction (des) Projets, chargée de l’affaire, après avoir entrepris les premières études techniques de transformation et de contrôle auprès du BEREG et le CTC qui a validé les paramètres techniques de l’ouvrage, a sollicité en 2002 un Cabinet de conseil et d’assistance en management d’Alger, Kermiche Partner KP, pour garantir les meilleures conditions de réussite à ce projet.

L’investissement est réalisé à hauteur de 70% et la décision de créer cette infrastructure hôtelière a été préalablement établie sur des bases intuitives ; c’est à dire avant d’effectuer une étude réelle du marché. Ce grand projet cible toute une région : Sétif, Bordj-Bou-Arréridj, M’Sila, Batna, Béjaia et Mila, car il se trouve au cœur d’une véritable plaque tournante de services "haut de gamme" avec comme centre de gravité l’animation culturelle et scientifique, les loisirs de détente et le commerce de produits de valorisation.

La recherche d’une société de management, parmi les grandes chaînes hôtelières à l’échelle internationale, afin de garantir une gestion optimale pour l’hôtel 5 étoiles, a mené tôt en 2001 à la rencontre d’un partenaire Turc "MESA", qui a manifesté beaucoup d’intérêt à ce projet. Il a même fait une proposition très élaborée du projet de reconversion. Les autorités locales lui ont même proposé de réaménager le parc d’attraction pour mieux servir le projet d’El-Ali.

VII - Conclusions :

L’une des leçons à tirer de cette expérience, c’est qu’il est inconcevable aujourd’hui de lancer un projet avant de connaître et fixer les objectifs d’une manière exacte. Le cas du SEA est très éloquent pour montrer à quel point un projet sans objectif précis pourrait cumuler du retard dans sa réalisation et les surcoût que cela puisse entraînés. Aussi, il est risqué de se fier à l’intuition seule pour monter un projet pareil, qui nécessite une étude de marché préalable à tout engagement.

Ce projet est certes nécessaire pour une ville aussi importante que Sétif à l’échelle nationale, cependant il est inacceptable de réaliser des projets qui n’ont aucun respect pour leur environnement, en commençant par le site archéologique qui a été éventré sans la moindre réaction de la part des autorités locales. D’autres sites, plus loin du centre historique, peuvent accueillir ce type de projet sans impact néfaste sur l’équilibre urbain déjà établi.

De nos jours, certains décideurs et promoteurs en Algérie ne voient la modernité qu’à travers la seule construction de tours de grande hauteur. C’est une représentation assez réductrice du paysage urbain et dominatrice envers le patrimoine urbain et architectural de nos villes.

Ainsi, le projet urbain on en parle chez nous, mais on n’en fait pas à cause de l’écart entre l’esprit des faits urbains : participation, gouvernance, etc. et la réalité quotidienne.

Références :

CNEP-Immo., (1998). "Fiche technique du projet", Archives.

Kermiche Partner KP, (2002). "Rapport et bilan du projet SEA". Archives CNEP-Immo.

Madani S. & Diafat A., (2002). "Intermediate Cities and Sustainable Development : Case of Setif - Algeria", in Review NGS 303 (Netherlands Geographical Studies) : ‘Urban Regions : Governing Interacting Economic, Housing and Transport Systems’, Utrecht, the Netherlands.

Les documents indiqués dans cet article ont été communiqués gracieusement par les auteurs indiqués ci-dessous pour Sétif Info

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