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Virée au cœur du vieux Sétif : Profession, écrivain public

mardi 26 mars 2013, , article écrit par F. Z. et publié par La rédaction


A l’heure où les générations de l’informatique se bousculent, suscitant autant dans leur poids, leur forme que les secrets qu’elles véhiculent bien des attentions, et mettant ainsi aux oubliettes d’autres technologies dépassées, dit-on, par le temps et le progrès, notre vieille machine à écrire, s’accrochant au temps, en dépit de tout, est toujours là, présente au cœur de ces vieux quartiers de Sétif qui ont réussi à survivre à cette « avancée » urbanistique et garder autant de beaux repères d’un temps révolu, où la cité de Aïn Fouara vivait encore sereinement à l’ombre de ses quatre platanes centenaires.

En évoquant alors cette petite machine qui ne semble alors pas prête à faire son oraison funèbre et se fait donc plus que jamais présente encore aux alentours de la plus ancienne poste de la ville, arborant cette belle conception architecturale qui, de tout temps, a été la sienne, nous sommes allés à la découverte des vieux écrivains publics, qui sont encore là, œuvrant encore à ciel ouvert, dans cette mémoire profonde qu’ils entretiennent en dépit de tout, répondre encore aux préoccupations de bien des citoyens.

Dans ce beau décor d’antan, les plus vieux, à l’instar de tonton Kari, qui accueillait, on s’en souvient, ses clients tous les matins, tel un « médecin » ou Saci de sa voix rauque porteuse, atténuée par ce petit sourire qu’il exhibait du coin de ses lèvres ne sont plus là, l’un malade et l’autre rappelé à Dieu, tous deux léguant ce « patrimoine » à de moins vieux, côtoyés par quelques jeunes mais qui sont encore là, l’un à côté de l’autre, tous autour de cette grande batisse, noyés dans cette multitude de correspondances qu’ils se plaisent à rédiger, les pleins et les déliés matérialisés pour les adeptes de la plume ou alors majuscule toujours en début de phrase pour les autres, ceux-là qui lèvent la tête le temps de vous scruter d’un regard furtif et revenir à l’objet de leur correspondance, collés, debout à l’épaule par celle ou celui qui doit fournir du bout des lèvres les arguments de sa missive. Le silence assourdissant qui règne autour d’eux ne semble pas pour autant trop les déranger, pas même cette cohue qui règne juste en face du côté du marché central ou de la station de taxis qui se trouve à moins de deux mètres, en bout de trottoir. Chacun d’eux veillant au grain, à sa juste place de toujours que certains n’hésitent pas à matérialiser sur le mur par un nom ou alors un tout petit dessin, un chiffre ou rien, comme pour nous dire que dans cette corporation, vieille comme le temps, le respect est encore partagé à la grande satisfaction de tous mais aussi celle du client revenu pour trouver vite son « tordjmen ».
Cet écrivain public, dont les lunettes aussi épaisses que l’impact du temps et les nécessités d’une vue qui se désagrège au fur et à mesure, n’affecte en rien la volonté, ni le chaud, ni le froid glacial, contraints cependant de pousser un peu plus fort sur la touche d’une machine à écrire visiblement épuisée par toutes ces plaintes et con-traintes qu’elle n’a cessé de porter au cœur d’une enveloppe portée vers d`autres cieux.

En ce mois de janvier qui a décidé de reprendre ses couleurs après plusieurs jours printaniers, nos écrivains publics sont donc toujours là, visiblement point affectés par cette température glaciale qui sévit, sinon qu’ils ressortent du coin de leur petite table, une « kachabia » qu’ils enfilent vite sur autre vêtement chaud.
Une table, un tabouret et un parasol.

Aujourd’hui, nos écrivains publics, du moins ceux qui travaillent à ciel ouvert, accolés au mur de la poste et qui sont chaque jour attentifs aux aléas climatiques ont décidé également de sortir et d’installer leur parasol doublé de plastique.
Un petit sourire comme pour nous dire d’avancer et nous voilà aux côtés de Moussa Merkache, qui est là depuis plus de 41 ans en attendant des jours meilleurs.
« Bilingue et fier de l’être » nous dit t-il comme pour faire entendre cela à l’écrivain mitoyen qui n’écrit qu’en français. Il revient à sa machine un court instant, force les dernières lettres et le temps de montrer à son client l’endroit où il doit apposer sa signature. Il revient à nous : « Vous dire que c’est avec plaisir que nous voulons travailler sous un parasol en plein mois de janvier, ce serait vous mentir. Je me souviens encore de ces années où l’on nous avait promis de nous aménager de petites baraques, bien faites, bien sûr, ici, juste au coin de la poste, dans cet espace qui est toujours là. Mais bon ! On nous aura permis tout de même, depuis, de vivre d’espoir et d’eau fraîche. Je ne suis pas arrivé hier, je suis un écrivain officiellement autorisé par la wilaya », poursuit-il, quand il exhibe fièrement sa carte d’écrivain public signée en effet par le secrétaire général de la wilaya du temps du programme spécial. « J’ai toujours été ici aux côtés de mon ami Saci, que Dieu ait son âme, et on était huit d’un côté et huit de l’autre. Jamais quelqu’un est venu me reprocher d’avoir divulgué son secret qui s’arrête, dit-il, ici » en nous montrant ce petit tabouret en bois qui est juste à côté de lui. Un soupir qui en dit long, et le voici nous lâchant, pour se replonger dans son monde. Midi est là, c’est l’heure du casse-croûte, la plupart de nos écrivains publics qui laissent tout leur matériel sur place comme pour dire nous revenons, traversent la route pour aller, comme ils disent, couper la faim.
« Cette machine aurait pu avoir mon âge ! »
Derouiche Abdelhakim est encore là. Il nous regarde comme pour nous dire d’attendre un peu, le temps d’achever un petit travail d’un client visiblement pressé, qui ne manque pas de nous dire : « C’est pour les impôts ou pour les aider ». Hakim revient à nous, souriant : « Voyez-vous, cette machine à écrire aurait pu avoir mon âge et elle est encore là ! Aujourd’hui le micro-ordinateur ne peut pas vous permettre de remplir des formulaires qui sont déjà établis au préalable. Ma machine, c’est aussi une partie de l’histoire du vieux Sétif, sauf qu’elle ne possède pas de carte mémoire. C’est ma passion, et ce métier, je le fais avec beaucoup de plaisir parce que j’aime rendre service aux gens sauf que… ».

Il retient son souffle, s’engouffre dans un silence profond et revient : « ça serait magnifique, si tous les écrivains publics qui sont sur le trottoir pouvaient bénéficier d’un petit local, vos clients vous suivront, ne vous en faites pas ! Mais le mieux serait que ces petit locaux, appelez-les comme vous voulez, ne soient pas loin de la poste ! C’est pour cela que j’ai toujours rêvé de les voir au niveau du parking qui est en face du stade Guessab ». Si pourtant cette profession a pu survivre aux aléas de l’homme et du temps, conférant ainsi des années et des années après, son charme au vieux Sétif, l’heure est venue de préserver et de valoriser bien des facettes de ce merveilleux patrimoine, partout, là où il se trouve, à l’effet de créer des espaces de la mémoire, que nous dictent encore les arcades de « Bab Biskra », Aïn Fouara et bien d’autres coins secrets de la cité.


F. Z.

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