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Belkacem Mebarki, tel un recul immanent
dimanche 26 mai 2013, écrit par Djihed Charef, mis en ligne par
Je m’amusais pendant qu’il fabriquait sa mort !
L’oubli est loin d’être le point de départ de ce propos, il est de ces hommes qui n’ont de finalité que de servir leur pays dans l’humilité et l’amour, et ne point s’en servir pour des intérêts personnels ou bien des dividendes immédiats. Il n’a jamais fait l’objet d’aucune polémique, il n’a cessé de manifester son hyper ajustement, tant dans son parcours d’enseignant, qui a façonné l’esprit de plusieurs générations, lui témoignant aujourd’hui de sa grande mesure tout en gardant une admiration constante pour lui, et tant par l’activité politique qu’il a menée avec honnêteté et sincérité.
Probablement, s’agit-il surtout d’un être que la vie lui venait chaque matin par la lecture, et c’est à travers les nuages de sa cigarette que j’ai appris à connaître les températures et les tempéraments de l’hiver !
Pendant ses heures libres, toujours seul dans sa chambre, plus au moins, allongé sur son lit, il mijotait avec ses bouquins auxquels il était incessamment en prise, de quoi dire, un esprit qui se construit à ses propres dépens. La sollicitude des choses à venir ne lui tient pas rang entre les choses nécessaires à la vie. C’est une question qu’il savait pertinemment que la capacité humaine ne peut d’elle-même répondre. S’accorder des biens par la licence d’une quelconque autorité, c’est juge-t-il, le comble de la déloyauté, en somme, sa physionomie annonçait son âme.
Il savait nous passionner, nous distraire et nous raconter des inédits aux habitudes décontractées … Il avait l’art de la présence, la discrétion dans la vie ; raisonnable d’allure et d’expression, bien nourri et bien équilibré.
Etait-il l’orphelin qui a très tôt perdu son père ? Je ne m’en suis jamais aperçu. Il cachait une psychanalyse de conciliation maitrisée entre intérieur et extérieur … C’est le départ d’un homme qui nous a toujours fait baigner dans un climat d’une parenté très tendre, profonde et humaine, que nul ne peut combler après ce triste départ. C’est sans le moindre regret que je l’évoque, certainement avec quelques larmes pénibles.
Quelle force m’aurait-il fallu pour interrompre à tout jamais ce départ ?!
Il me racontait des choses et des choses sur lui, autour de la guerre de libération ; il ne cherchait pas ses mots pour dire à quel point ce fut épouvantable, et que chaque jour avait son lot de chagrins à ne pas remuer ; mais on a fini –dit-il- par s’en sortir, et que les choses allaient bien.
Je le vois faisant quelques pas dans la maison, de long en large. Il n’avait pas besoin de son cœur, il le donnait volontiers. L’air de la mort ne lui correspond pas ; quelques kiosques continuent à ouvrir le matin, mais lui, il n’y va plus chercher son journal, il manquera à tout jamais à son rendez-vous quotidien. Que tu as raison cher grand- père, les nouvelles sont beaucoup moins intelligentes, tout est fini mais c’était tôt, pour moi, eela est encore plus lourd pour ma très chère Néna, sur laquelle pèsera le poids de la mémoire, et la chronologie d’une vie si paisiblement partagée. Je la trahirais si j’osais la consoler, même si je ferai un bel effort, je ne peux contenir une tristesse qui ressemble à la sienne. Autrement, ce départ ne peut-être une blessure, mais en revanche, une signifiance et une curiosité qui me rattachent fortement à une transcendance que je cultive avec passion.
Peut-on découper le temps et abroger la partie de la perte ? ô que non !
Tenter de sillonner la mémoire ne sera pas facile, face à l’abîme du temps. Proust l’a toujours soutenu, il n’a pas tort ! L’homme auquel je me lie aurait pardonné ces mots inachevés ; il aurait aussi fait état d’un regret, que l’histoire manquera de faire objet d’écriture, cela ouvre un débat de thèse, si je reprends l’idée de Nietzsche que “rien ne peut être l’histoire de sa propre histoire”.
Il était voué à la mémoire de la résistance et à la fierté de l’appartenance, très peu assumées aux temps du sarcasme, de la gaieté, de l’indulgence du mépris, que Chamfort me le permettrait !
L’état d’un regret s’estompe - à mon avis - devant la dignité d’un nom, mais surtout devant une page d’existence bien ronflante, meublée de repères éthiques, historiques et intellectuels. Le monde qu’il a croisé dans le boulevard de la vie, lui a donné une si belle affiche. Autrement, rien ne peut lui rendre hommage que l’indicible, une autre forme de la présence.
Je ne m’arrêterai pas sur les mérites d’un homme, je ne ferai pas de la complaisance même à titre posthume, et je ne mets pas à l’ombre le besoin aujourd’hui, de voir des gens épouser la cause des plus démunis, et défendre le droit de chacun. Ses engagements sont les plus révélateurs de ce qu’il était réellement, il avait certainement compris, bien avant qu’il soit trop tard, que la vie ne vaut pas la vengeance !
Djihed Charef